Préambule
Excellence Monsieur le Président de la République,
1. Avant toute chose, nous sommes pleins de reconnaissance pour la suite favorable donnée à notre demande de vous rencontrer et pour l’accueil que vous nous réservez en ce moment. Nous vous en remercions très sincèrement.
2. Conformément à notre mission prophétique, nous, Cardinal, Archevêques et Evêques, membres de la CENCO, à l’occasion de notre Assemblée plénière de ce mois de juin 2024, avons jugé utile de vous adresser ce Mémorandum par lequel nous vous exhortons sur certains aspects de votre mission en tant que Chef de l’Etat.
3. En vertu de notre responsabilité commune, notre mission consiste, entre autres, à apporter notre contribution sur la marche générale du pays et sur ce qui est à faire en priorité afin que le peuple congolais retrouve sa dignité.
Sur le plan socio-économique
4. Nous vous encourageons à poursuivre les initiatives sociales que vous avez prises, notamment la gratuité de l’enseignement de base et de la maternité, le programme de 145 territoires, les projets sociaux à impact visible avec la collaboration de nos 48 diocèses. En même temps, nous constatons que ces bonnes initiatives souffrent d’un déficit de suivi et de contrôle. Pour preuve, beaucoup de chantiers bénéfiques pour la population sont en souffrance, soit par la mauvaise gestion de l’argent y alloué, soit par l’irrégularité du rythme de financement. Un regard soutenu et vigilant de votre part aidera certainement à améliorer les choses. Vous gagnerez à identifier les personnes réellement idoines et honnêtes qui vous seront redevables dans la réalisation de ce programme.
5. Excellence Monsieur le Président de la République, malgré vos efforts louables à améliorer le social, le peuple congolais en général continue de vivre dans des conditions plus que préoccupantes, sans infrastructures de base, une pauvreté honteuse au regard des richesses dont est doté notre pays. Plus déconcertant est le fait que dans ces conditions décriées, la dette publique de l’Etat ne fait qu’augmenter de façon vertigineuse jusqu’à atteindre près de 10 milliards de dollars américains.
6. En effet, selon les données de la Banque Mondiale, l’indice de misère de la population est passé de 13,6 en 2019 à 25,7 en 2023. Au demeurant, la RDC fait toujours partie des cinq pays les plus pauvres du monde, avec un taux d’inflation qui est passé de 9,2% en 2022 à 20,7% en 2023 et le taux de change de plus en plus galopant. Nous reconnaissons cependant le fait que les salaires des fonctionnaires congolais sont payés plus régulièrement qu’avant. Fort malheureusement, ils ne sont indexés ni au taux d’inflation ni à l’évolution du taux de change. Les deux taux affectent davantage les plus pauvres. Ce qui entraîne la perte très importante du pouvoir d’achat du peuple congolais.
7. Face à cette situation de précarité généralisée de la vie, il est fort regrettable de constater que les dépenses sociales dans notre pays sont celles qui connaissent le taux d’exécution le plus bas. Il serait plus éthique de réduire conséquemment le train de vie des Institutions. Le contraire irait à l’encontre de la devise chère à votre père : « le peuple d’abord ».
8. Nous avons apprécié à sa juste valeur, l’intérêt porté dans votre discours d’investiture du 20 janvier 2024, à l’entrepreneuriat et la création d’emplois, la protection du pouvoir d’achat, la sécurité, la diversification et la compétitivité de l’économie, l’accès aux services sociaux de base ainsi que l’efficacité des services publics.
9. Excellence Monsieur le Président, c’est justement dans ces six objectifs prioritaires de votre quinquennat que l’Eglise Catholique serait davantage utile au pays si les dispositions de l’Accord-Cadre et ses mesures d’application entre l’Etat Congolais et le Saint-Siège étaient respectées. Malheureusement, nous rencontrons beaucoup de difficultés dans son application de la part des compatriotes qui y voient une faveur faite à l’Eglise Catholique, au lieu de considérer le service à rendre à la population grâce à cet Accord. Votre intervention s’avère nécessaire pour y remédier.
Sur le plan sécuritaire
10. Comme tous les Congolais, nous sommes très préoccupés par l’ampleur que prend l’insécurité, particulièrement dans la partie Est de notre pays.
Les groupes armés étrangers et locaux s’activent de plus en plus. Par conséquent, une partie non négligeable de notre pays est occupée par les rebelles soutenus par les pays voisins, malgré toutes les dispositions prises depuis lors pour y faire face. C’est, entre autres, le cas de Bunagana qui est sous contrôle de l’ennemi depuis deux ans. Une situation qui a déjà fait des millions de victimes et de déplacés internes qui vivent dans des conditions infrahumaines.
11. A ce propos, outre les pertinentes recommandations que nous avions faites, notamment la réduction du train de vie des Institutions pour donner plus de moyens aux Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) et la dénonciation des officiers traîtres, nous voulons ici insister sur la nécessité de renforcer la cohésion nationale pour faire face à l’ennemi commun. Votre diplomatie en sortira plus forte si elle est portée par une dynamique nationale qui résulte du concours de différentes forces vives du pays, y compris l’opposition politique. Malheureusement, cette demande n’a jamais trouvé un écho favorable suite à certaines considérations politiciennes qui ne servent pas à l’unité du pays.
Sur le plan socio-politique
12. Les irrégularités et les incidents, ayant caractérisé les dernières élections, ont créé une grande frustration, même au sein de la Majorité. Qui dit frustration, dit menace à la cohésion nationale. Aussi, les dérives constatées lors des scrutins du 20 au 27 décembre 2023 ont davantage augmenté la méfiance de la population vis-à-vis du processus électoral.
13. Pour remédier à cette méfiance, nous percevons l’extrême nécessité d’évoluer vers un pacte national issu des concertations de principales forces vives du pays sur les modalités d’organisation de prochaines élections. Il est souhaitable de le faire le plus tôt possible en dehors de la pression électorale.
14. Nous suivons avec attention le débat sur un éventuel changement de la Constitution. Cette délicate question peut déstabiliser le pays si elle n’est pas bien traitée. Nous vous prions de bien examiner tous les aspects y afférents avant de vous engager.
15. D’ores et déjà, nous vous exhortons à veiller à ce qu’on ne touche pas aux articles verrouillés que nous avions protégés ensemble quand vous étiez dans l’opposition. Agir autrement exposerait le pays à des tensions sociales difficiles à gérer au moment où nous avons plus besoin de cohésion nationale.
Sur le plan de la justice et du droit
16. Nous apprécions votre dénonciation du dysfonctionnement de la justice dans notre pays. Malheureusement, et malgré vos multiples interpellations, la situation semble évoluer de mal en pis. Nous sommes déboussolés par l’allure que chaque jour prennent la corruption, le détournement de deniers publics et l’impunité. A cela s’ajoutent les injonctions et influences politiques qui portent sérieusement atteinte aux droits des paisibles citoyens. Le désastre observé à la plus haute cour juridictionnelle dans le traitement des contentieux électoraux en est un témoignage éloquent.
17. A ce sujet, il convient qu’à l’aube de votre deuxième mandat, des signaux plus que forts soient donnés dans l’objectif de créer une nouvelle perception de notre justice en corrigeant les erreurs du passé et que les droits de tous les Congolais soient garantis.
Conclusion
18. Excellence, Monsieur le Président de la République,
Vos nobles résolutions ne pourront être matérialisées que dans un environnement éthique qui, hélas ! fait encore défaut à notre pays. Nous comptons beaucoup sur votre impulsion personnelle et vous pouvez compter sur notre prière et contribution.
Que la lumière du Christ soit sur vous et vous accompagne tout au long de votre mandat au service de notre pays que, tous, nous voulons plus beau qu’avant.
Kinshasa, le 27 juin 2024.
+ ARCHEVÊQUES ET EVÊQUES DE LA CENCO
MEMORENDUM DE L’ASSEMBLEE PLENIERE AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE